Alors que le changement climatique commence à bouleverser nos habitudes et surtout fait craindre des problématiques de sécheresse, Olivier Cavallo, directeur de Veolia Eau dans le Var, et Marc-Antoine Moché, secrétaire général de l’UPV, se sont penchés sur le sujet, priorisant le verre à moitié plein.
Comptant parmi les pionniers de la Convention des entreprises pour le climat, le secrétaire général de l’Union Patronale du Var, Marc-Antoine Moché, a une réflexion permanente et transversale sur le sujet. Administrateur de l’UPV, élu consulaire, directeur de Veolia Eau dans le Var et fin technicien dans ce domaine depuis une trentaine d’années, Olivier Cavallo a une vision pragmatique de la question. Leurs échanges à huis clos ont permis de poser l’état des lieux et de phosphorer.
Un petit peu d’histoire d’abord. Si, au milieu du 19e siècle, les services des eaux dans les villes ont essentiellement été créés par des privés, les collectivités ont ensuite longtemps pris la main avant d’opter de choisir la délégation de service public pour grand nombre d’entre elles au cours de la dernière partie du siècle dernier. Il en va ainsi de Toulon, par exemple, au début des années 90. « Jusqu’en 2005, on ne parlait que du prix de l’eau », se souvient Olivier Cavallo, avec des associations qui montaient au créneau pour dénoncer des soi-disant abus... « Et puis, au milieu de la décennie précédente, les attentes de la population ont changé, on n’a plus parlé du prix, qui n’avait pas spécialement beaucoup bougé ni grevé la part du budget des ménages, mais de la qualité et du service rendu, sur fond de bataille au passage avec les minéraliers par rapport aux pollutions éventuelles, sans oublier les combats écologistes ».
« Du coup, la bascule avec le changement climatique et la peur de pénurie se fait dans un climat de développement durable à la fois inéluctable et plus que jamais incertain ? », s’interroge Marc-Antoine Moché, pour mieux y répondre ensemble.
En fait, conjointement à ces évolutions, les habitudes de consommation de la Région ont évolué. Quand bien même nous avons la culture de la gestion économe de l’eau, la présence accrue depuis 1957 du Canal de Provence, sous la responsabilité du Conseil Régional à partir de 2004, nous a fait vivre dans l’illusion de l’abondance avec l’eau du Verdon et de Sainte-Croix. Or, nous sommes le premier département touristique de l’hexagone après l’Île de France, recevant des populations qui n’ont pas le même niveau de sécheresse ni nos habitudes. Ailleurs, les prés sont verts et l’herbe est grasse.
Etat de la ressource
Pour mieux se projeter, il convient de remonter à la source, et plus précisément aux ressources. Elles sont de trois ordres, selon Olivier Cavallo. Sur le plan local d’abord, via les sources ou nappes quasiment présentes partout dans le Var. Ce sont des lieux où l’eau s’infiltre rapidement, sauf quand elles en reçoivent peu, comme actuellement avec des niveaux historiquement bas a. Il y a aussi l’eau du barrage de Carcès (et de l’Argens), à un stade plus bas que la moyenne en raison d’une sécheresse hivernale exceptionnelle, et qui constitue l’alimentation principale de la Métropole TPM. Pas de pluie, pas de ruissellement non plus par le Carami et l’Issole. Et puis, il y a l’eau du Verdon et des barrages, en particulier Sainte-Croix, dont le niveau est également inférieur à la normale malgré la gestion de préservation de la part d’EDF.
« Les communes alimentées par ce troisième type de ressources n’ont pas de risque de rupture, mais plutôt de conflits d’usage si l’on consomme trop, par exemple s’agissant de l’activité touristique en eau vive et surtout sur la bande littorale qui pénaliserait le quotidien vital à l’intérieur des terres, pour résumer une des problématiques qui se dessinent. Certaines voix s’élèvent pour dire que l’amont ne doit pas payer le prix de la consommation de l’aval », explique Olivier Cavallo. D’autres réflexions montent pareillement en puissance sur l’agriculture, certes modernisée et vertueuse comme jamais, mais qui souffre de plus en plus de la sécheresse.
Il était une fois en numérique
« Compte tenu de ce constat et des évolutions projetée du climat, au-delà de la sobriété nouvelle, l’enjeu sera donc de devenir régénératif », plaide encore le secrétaire général de l’UPV, avec l’approbation chiffrée d’Olivier Cavallo : « en effet, il va beaucoup moins pleuvoir, à tel point qu’il est projeté une diminution de l’eau de l’ordre de 40% dans le demi-siècle à venir ». Il faudra bien vivre avec, ou plutôt sans, être économes, de la part des personnes comme des entreprises industrielles, touristiques, agricoles… « Lesquelles entreprises sont des accélérateurs de solutions, y compris par la pédagogie auprès de leurs collaborateurs qui sont aussi des citoyens et portent les nouvelles façons de penser et de faire dans leurs foyers », affirment-ils de concert.
Tous les process doivent changer, toutes les activités économiques doivent se poser les bonnes questions afin de consommer demain - et cela doit commencer dès aujourd’hui - l’eau de la façon la plus efficiente, considérant qu’elle est trop précieuse pour n’être utilisée qu’une fois... D’où le régénératif qui permettra d’ériger cette transition en principe économique.
Qui des nouvelles technologies dans cette histoire d’eau ? Elles sont centrales ! Certains territoires n’ont que 50% de rendement d’exploitation de l’eau, d’autres 80% (moyenne nationale), c’est-à-dire 20% de perte en moyenne, faute d’investissements dans les réseaux et de veille numérique digne de ce nom. Au sein de Veolia Eau Var, le taux de rendement est de 86,7% sur 3 000 kms de réseau (50% du département), revendique Olivier Cavallo. « Sur le seul périmètre de Toulon Provence Méditerranée, nous avons placé 25 000 objets connectés afin de surveiller en permanence l’état et d’intervenir immédiatement. On se doit des performants et nos techniciens Iot (Internet des objets) sont de précieux renforts en compétences ».
Marges de progrès
Le salut viendrait donc du smart réseau et de nos capacités à réutiliser l’eau, potable et non potable. Les marges de progrès sont immenses si l’on mesure nos « performances » à ce propos : 0,6% dans le Var et 1% en France, contre 9% en Italie, 14% en Espagne, 80% en Israël qui a su changer de paradigme, où Olivier Cavallo s’est rendu dernièrement avec une délégation de la Région. Car les pouvoirs publics territoriaux s’emparent très sérieusement de cette pénurie potentielle avant que cela ne tourne en eau de boudin. Dans le Var, le Département s’inscrit même en chef de file avec son Plan à 2050, mêlant observatoire, réflexions, actions, évaluations, dans une vaste démarche collective.
Pour l’heure, cette concentration de préoccupations est une source d’optimisme si l’on regarde le verre à moitié plein, tandis que la peur du vide pousse à la vertu. « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, » dit la réplique de Beaumarchais érigée en adage, qui nous encourage aujourd’hui à faire attention que l’eau d’ici ne parte pas dans l’eau de là…